COVID-19 AU CAMEROUN

FAUT-IL AIDER LE SECTEUR DU SPECTACLE VIVANT ?

Au Cameroun, il n’est point facile pour un artiste-interprète de générer des revenus de son activité professionnelle et encore moins d’en vivre de façon pérenne. Aussi cher artiste-interprète, aide-toi et la vie t’aidera.

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Le coronavirus fait des ravages en Afrique et impacte fortement de façon directe le secteur du spectacle vivant. Ainsi, au Cameroun les artistes-interprètes sont durement touchés au niveau du portefeuille. Pour tenter d’enrayer la pandémie, les arrêtés préfectoraux et gouvernementaux se succèdent. Les organisateurs de spectacles sont priés de plier bagages, les propriétaires de salles de revoir leur programmation, et les artistes-interprètes de se tenir à carreau. Ces décisions sont plus ou moins bien respectées et les lieux recevant les spectacles font un peu de résistance pour de multiples raisons. Jusqu’où la pandémie va-t-elle flamber et obligera-t-elle les décideurs politiques à mettre le secteur du spectacle vivant totalement sous CLOCHE ? La Covid-19 engendrera-t-elle une prise de conscience de la part des acteurs du spectacle ? De nouvelles pratiques liées au spectacle, de nouvelles orientations professionnelles verront-elles le jour ? Autant de questions que nous pouvons nous poser.

La Covid-19 est là, nous devons nous habituer à vivre avec ce virus si virulent. Nous devons désormais adapter non seulement nos habitudes quotidiennes, mais aussi nos pratiques professionnelles. Souvent au Nouvel An, les Camerounais aiment à dire :’’nouvelle année, nouvelles méthodes’’. Mais très souvent, ils ne vont pas changer de méthodes même si l’année est nouvelle. Cependant, les artistes-interprètes camerounais et surtout les professionnels du secteur administratif du spectacle vont VRAIMENT devoir changer de méthodes pour réaliser leurs projets. Deux raisons essentielles et vitales les y obligent désormais : les nouvelles normes juridiques et les obligations sanitaires actuelles et à venir.

Les Aides Covid-19 de par le Monde

Le gouvernement camerounais n’a pas encore pris de décisions pour pallier au manque à gagner des artistes-interprètes. Mais comment trop lui en vouloir ? Il n’existe pas au Cameroun de nomenclature des professions et des métiers du spectacle vivant. Comment, en effet, distinguer de manière objective la qualité d’artiste-interprète, d’artiste-musicien, d’artiste-auteur ou d’artiste-compositeur ? De ce fait, seules les personnes ayant publié et/ou diffusé une œuvre musicale peuvent facilement être reconnues comme étant des artistes-interprètes et encore faut-il que cette œuvre ait rencontré un certain succès, et pour les artistes-musiciens, qu’à force de porter le sac d’un guitariste ils aient réussi à placer les notes qu’il faut où il faut et soient devenus des virtuoses de la guitare, qu’à force de porter les sacs d’un percussionniste, ils soient devenus virtuoses du djembé, du tambour ou de la batterie. Le système d’intermittence qui regroupe aussi bien les artistes de scène que les technico artistiques existe en France, en Suisse et en Belgique. Dans ces pays ‘’dits’’ développés, les artistes professionnels sont reconnus comme tels car ils déclarent leurs revenus professionnels au fisc et au social. Ils sont ainsi facilement répertoriés et des aides peuvent leur être versées. Une fois de plus au Cameroun, nous vous mettons au défi de trouver un seul artiste-interprète qui aura déclaré son activité professionnelle.

En France, l’aide Covid-19 apportée aux artistes par l’État est directement versée aux intermittents du spectacle par les caisses concernées, car les bénéficiaires ont OBLIGATOIREMENT déclaré au préalable leurs activités professionnelles au fisc et au social. D’autres aides liées à la Covid-19 sont par ailleurs versées aux artistes-interprètes, auteurs, compositeurs directement par les organismes de gestion de leurs droits. Les artistes camerounais vivant en France et déclarant leurs activités dans le strict respect des lois en vigueur dans ce pays ou qui sont membres des sociétés de gestion des droits comme la SACEM, l’ADAMI ou la SPEDIDAM peuvent bénéficier de ces aides spécifiques.

En Suisse, l’aide Covid-19 est matérialisée par la loi du 20 septembre 2020 qui porte le nom de ce virus et précise de façon directe les bénéficiaires de ces aides : les acteurs, les artistes et les entreprises culturelles.

Plus près de nous au Sénégal, le gouvernement a accordé des aides exceptionnelles au milieu du spectacle vivant : une première en mai 2020 d’un montant de 3 milliards de Fcfa et une deuxième en février 2021 d’un montant de plus de 2 milliards et demi de Fcfa. Toutefois, la distribution de ces aides a généré des polémiques dans ce pays. En effet, elles ont surtout profité aux artistes-interprètes dits ‘’reconnus’’, donc, ‘’réputés’’ et peu aux ‘’quidams’’ ou autres artistes peu ou pas connus du grand public, mais qui pourtant, distraient aussi les populations.

Des Aides Covid-19 au Cameroun pour le secteur du Spectacle vivant ?

Comme vous le savez, dans notre pays le Cameroun, la pandémie liée à la Covid-19 sévit à nouveau et de façon gravissime. La crise sanitaire impose à l’État de prendre des dispositions draconiennes. Les rassemblements importants sont interdits et les lieux accueillant des spectacles sont dans le viseur des autorités administratives qui prennent des décisions, certes radicales mais nécessaires, afin d’éviter des clusters et la propagation de la pandémie. Les artistes sont sur la corde raide et ont besoin d’un soutien, d’un coup de pouce pour subvenir à leurs besoins primaires (logement, nourriture, enfants, maladie, etc.), d’autant plus que l’artiste camerounais a déjà du mal à boucler ses fins de mois en temps ordinaire. Avec l’arrêt des concerts et des spectacles, nous filons tout droit vers une hécatombe sans précédent. L’artiste camerounais se retrouve devant une situation inédite. Sans rentrées d’argent, comment pourra-t-il vivre sans aides de l’État pour attendre des jours meilleurs ? Même les administrateurs de projets culturels, les associations et les indépendants, ne sont pas épargnés. L’association, structure tant prisée au Cameroun, montre ici ses limites. La société commerciale serait de notre point de vue, le statut le plus adapté.

L’État pourrait débloquer une aide spéciale au profit des auteurs, compositeurs, producteurs et éditeurs qui serait élargie aux artistes-interprètes, artistes-musiciens et aux entreprises culturelles. Ce secours spécial du Président de la République très magnanime au profit du secteur culturel permettrait à ce secteur de ne pas périr et éviterait à des familles entières de ne pas tomber dans une plus grande précarité. Comme vous le savez, les artistes-interprètes sont souvent à la tête de familles nombreuses. Cette aide Covid-19 pourrait venir en complément du Compte d’Affectation spéciale pour le Soutien de la Politique culturelle (CASSPC). Cette aide serait certes ponctuelle mais n’en serait pas moins salvatrice.

Nous nous posons les questions suivantes :

  1. Comment aider l’artiste camerounais ?
  2. Comment le définir ?
  3. Quelles nomenclatures mettre en place ?
  4. Si une aide de l’État intervient, qui devrait en profiter ?
  5. Seules devraient en bénéficier les associations ayant reçues un agrément du MINAC, ou devrait-on étendre cette aide aux associations légalisées par l’administration territoriale ?
  6. Faudrait-il aider uniquement les artistes connus comme au Sénégal ou aussi les griots, les balafonistes, les artistes-interprètes confidentiels, les artistes-musiciens qui prestent dans les cabarets et les bars. En effet, ces derniers sont considérés comme des salariés relevant du droit commun car ils oublient toujours notamment de s’inscrire à la société de droit d’auteurs en qualité d’artiste-musicien d’accompagnement ou de studio.
  7. Qui sera chargé de gérer une telle manne financière ?
  8. Les artistes-interprètes de renom basés hors du Cameroun mais prophètes chez eux devraient-ils en bénéficier ?

La polémique risque d’être vive et très agressive voire infernale. Un vrai dilemme en somme. Heureusement que nous n’en sommes pas là.

            Aider : OUI ! MAIS sous Conditions…

Oui, il faut soutenir le système culturel camerounais dans son ensemble afin d’éviter aux artistes, aux structures et aux employés de ce secteur (technico-artistiques, administratifs, etc.), de tomber dans une précarité sans précédent.

Mais, il faut encadrer, et surtout conditionner cette aide.

Pourquoi ne pas en profiter pour inciter les organisateurs de spectacles, les tourneurs, les gestionnaires de salles, les managers et autres professionnels, à moderniser leurs pratiques afin de leur permettre, ainsi qu’aux artistes qu’ils encadrent, de rendre le secteur du spectacle vivant plus professionnel en s’inspirant des exemples français, suisses ou belges ? L’industrie du spectacle vivant dans de nombreux pays du Nord est très développée et économiquement viable. De fait, pourquoi ne pas s’inspirer de ce qui marche ailleurs et faire de cette pandémie qui met tout en veilleuse sur son passage, un tremplin pour mettre en place un système culturel différent et rendre celui du spectacle vivant plus élaboré. De nouvelles politiques culturelles donneront la possibilité de développer une vraie économie de marché, de créer des emplois marchands, de créer de la richesse, non seulement au profit des acteurs, mais aussi des structures. Au Cameroun, les associations ne créent pas de richesse pour le pays et le secteur du spectacle vivant.

Comme chacun le sait, elles profitent surtout à leur président (souvent le mari) et leur trésorière (souvent l’épouse) par le biais des subventions, mais pas à leurs adhérents et encore moins à l’État. Dans les pays du Nord, il est prouvé que les sociétés commerciales et industrielles contribuent à une économie forte, pérenne et viable. Nous insistons donc sur le fait qu’au Cameroun, contrairement à ce que vous pourriez penser, c’est également le cas.

Nous sommes donc convaincus qu’à cause de la pandémie notre mode de vie va être bouleversé et que les nouvelles décisions gouvernementales vont accompagner la transformation nécessaire du secteur du spectacle vivant.

Nous devons donc :

  1. Réguler les pratiques entre les professionnels du secteur du spectacle.
  2. Mettre en place avec le MINAC des sessions d’informations pour une meilleure compréhension de la loi n° 2004/0001 du 21 avril 2004 portant régime des spectacles et des décisions d’application qui en découlent.
  3. Organiser avec l’appui du MINAC une grande rencontre nationale qui débattra de l’avenir du spectacle vivant au Cameroun.  
  4. Profiter de cette aide pour revoir les mécanismes de gestion des structures qui rassemblent les artistes au Cameroun et particulièrement les syndicats et les associations.
  5. Encourager les entreprises organisant les spectacles et les tournées au Cameroun, y compris les entreprises recevant les spectacles, à aller vers d’avantage de professionnalisme.
  6. Indexer l’aide à apporter par la production d’un dossier de candidature contenant des documents relatifs à l’administration, à la gestion de la structure sur les années 2020 et 2021 et pour certains, sur l’année 2019. Afin d’éviter les fraudes et encourager la méritocratie sur la base d’une bonne gouvernance des structures qu’ils administrent, solliciter des demandeurs d’aides les documents suivants :
    • Les budgets prévisionnels globaux de 2020 et de 2021
    • Une déclaration sur l’honneur
    • Les fiches de fonctionnement et des projets
    • La fiche des investissements correspondant aux années 2020 et 2021
    • Les fiches des artistes membres et les copies de leurs mandats ou fiches d’adhésion
    • Les documents attestant de la création de la structure ou des dernières modifications de la structure (attestation de la préfecture)
    • Les derniers statuts régulièrement déclarés
    • Le procès-verbal de l’assemblée générale ou du conseil d’administration relatif à l’élection des membres du bureau en activité
    • L’agrément du Ministère des Arts pour les associations
    • Le rapport d’activités 2019
    • Le bilan et le compte de résultat des exercices 2019 et 2020

Aider les entreprises qui emploient les artistes et notamment les cabarets, les bars, les organisateurs de spectacles, les producteurs de spectacles, les diffuseurs de spectacles, les éditeurs, les distributeurs et les organisateurs de tournées par :

  1. Les reports des paiements des cotisations sociales
  2. Les reports ou un moratoire sur la fiscalité de ces entreprises pour les exercices 2020 et 2021
  3. Une demande de subvention spécifique pour la relance de leurs activités uniquement destinée aux dépenses artistiques auprès du Compte d’Affectation spéciale pour le Soutien de la Politique culturelle (CASSPC).

Dans la même optique, le gouvernement pourrait profiter de la situation liée à la pandémie Covid-19 pour continuer l’assainissement du secteur du spectacle vivant en conditionnant l’accès de ces aides et subventions à la production des pièces comptables suivantes :

  1. Les budgets prévisionnels globaux de 2020 et de 2021
  2. Les déclarations fiscales pour les années 2019 et 2020
  3. Le plateau artistique employé en 2020 et le prévisionnel de 2021
  4. La liste des projets réalisés en 2020 et à réaliser en 2021
  5. Les copies des déclarations des artistes auprès des impôts et de la CNPS depuis le 1er janvier 2020
  6. Les documents officiels de l’existence légale de la structure
  7. Le bilan et le compte de résultat des exercices 2019 et 2020

Création d’un Organisme de Gestion de la Protection sociale de l’Artiste camerounais

Avec un organisme tel que celui-ci, le gouvernement pourra continuer à assainir le milieu culturel camerounais en mettant progressivement en place un statut social pour les artistes. Il pourra recenser les artistes et les différentes structures administratives et professionnelles du domaine de la culture. Il pourra mettre en place un système social plus protecteur pour les artistes au moyen de cotisations et de contributions diverses. Ainsi, grâce à ces dispositions, la qualité d’artiste pourra être reconnue et protégée socialement.

Les Aides et Subventions Covid-19 des OGC

Les sociétés de gestion collective pourraient de façon spontanée apporter des aides prioritaires et urgentes à leurs mandataires (adhérents). N’oublions pas que les auteurs, compositeurs, producteurs, éditeurs confient des mandats aux OGC pour collecter leurs droits auprès des utilisateurs et les leur reverser. De fait, la SONACAM par exemple dispose de fonds non distribués dans ses comptes bancaires qu’elle pourrait répartir sous forme d’aides et subventions au profit de (TOUS) ses mandants. Si par extraordinaire elle ne disposait pas de ces fonds, que sont-ils devenus ? Dans cet élan de solidarité, le Ministère des Arts pourrait alors décider d’allouer une enveloppe spéciale issue du Compte d’Affectation spéciale pour le Soutien de la Politique culturelle (CASSPC) qu’il mettrait à la disposition de la SONACAM pour être distribuée à ses mandants.

Le secteur du spectacle vivant camerounais ne pourra survivre sans une aide des pouvoirs publics. Pour qu’il continue à se développer après la pandémie, l’État doit l’accompagner dans la modernisation de ses pratiques.

Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours (Confucius).

Auteurs

Aimey Bizo

Avec Marie-Anne Clerget-Voirin

(IN) SPECTACLES VIVANTS AU CAMEROUN : DE LA PRODUCTION A L’ORGANISATION D’UN SPECTACLE

Editions l’Harmattan – Paris 2015

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